CE, 13 décembre 1889, Cadot c/ Ville de Marseille, 66145 ▼
Conseil d'État
statuant
au contentieux
N° 66145
Publié au recueil Lebon
Mayniel, rapporteur
Jagerschmidt, commissaire du gouvernement
Choppard et Le Sueur, avocats
lecture du vendredi 13 décembre 1889
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le sieur Cadot, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, demeurant ..., ladite requête et ledit mémoire enregistrés au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'État les 15 janvier et 19 mars 1886 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour incompétence, une décision, en date du 17 octobre 1885, par laquelle le Ministre de l'Intérieur a rejeté sa demande tendant à faire condamner la ville de Marseille à lui payer une indemnité : 1° à raison de l'atteinte portée à sa considération professionnelle par des allégations insérées dans des délibérations du conseil municipal des 6, 7 et 9 février 1887, relatives à la suppression du poste de directeur de la voirie urbaine, dont il était titulaire ; 2° pour le préjudice résultant de ce que, par suite de cette suppression, il a été brusquement privé de son emploi et du bénéfice des retenues opérées sur son traitement au profit de la caisse des retraites ;
Vu la loi du 18 juillet 1837 ;
Vu le décret du 25 mars 1852 ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Considérant que le maire de la ville de Marseille, ayant, par arrêté du 2 mars 1877, supprimé l'emploi d'ingénieur directeur de la voirie et des eaux de la ville, occupé par le sieur Cadot, celui-ci a saisi l'autorité judiciaire d'une demande en dommages-intérêts ; que la Cour d'appel d'Aix a reconnu, par arrêt du 8 août 1878, que l'autorité judiciaire était incompétente pour connaître de l'action en indemnité introduite par le sieur Cadot contre la ville de Marseille et que le conseil de préfecture du département des Bouches-du-Rhône s'étant également déclaré incompétent par arrêté du 17 juillet 1880, cet arrêté a été confirmé par décision du Conseil d'État en date du 12 janvier 1883 ;
Considérant que le sieur Cadot a alors saisi le Ministre de l'Intérieur d'une demande tendant à faire condamner la ville de Marseille à lui payer une indemnité totale de 158.000 francs, savoir : 1° pour l'atteinte portée à sa considération professionnelle par des allégations insérées dans une délibération du conseil municipal des 6, 7 et 9 février 1877, 50.000 francs ; 2° pour le préjudice résultant de ce qu'il a été brusquement privé de son emploi, 105.000 francs ; 3° pour remboursement des retenues opérées sur son traitement au profit de la caisse des retraites, 3.000 francs ;
Considérant que le requérant demande au Conseil d'État d'annuler pour incompétence une décision, en date du 17 octobre 1885, par laquelle le Ministre de l'Intérieur aurait rejeté la réclamation précitée, attendu qu'il n'appartiendrait ni au ministre, ni à aucune juridiction administrative d'en connaître, subsidiairement de faire droit à ladite réclamation ;
Sur les conclusions principales du sieur Cadot :
Considérant qu'il résulte des termes de la dépêche ministérielle du 17 oct. 1885 que, si le Ministre de l'Intérieur a rejeté la demande en remboursement des retenues, décision qu'il lui appartenait de prendre, comme supérieur hiérarchique du préfet, sur une question se rattachant à l'application du règlement de la caisse des retraites des employés de la ville de Marseille, il s'est borné, sur les deux chefs de réclamation, à déclarer, d'une part, que c'était devant les tribunaux judiciaires qu'il pouvait appartenir au sieur Cadot d'attaquer les conseillers municipaux dont les paroles lui paraîtraient constituer à son égard une diffamation, d'autre part, que le conseil municipal de Marseille n'ayant pas cru devoir accueillir la demande en indemnité, il ne pouvait lui-même y donner d'autre suite ; qu'ainsi le Ministre de l'Intérieur s'est abstenu de statuer sur ces points qui, en effet, n'étaient pas de sa compétence ;
Mais considérant que, du refus du maire et du conseil municipal de Marseille de faire droit à la réclamation du sieur Cadot, il est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d'État de connaître et dont ce Conseil est valablement saisi par les conclusions subsidiaires du requérant; qu'il y a donc lieu de statuer au fond sur les différents chefs de sa réclamation ;
En ce qui touche la demande en indemnité fondée sur l'atteinte qui aurait été portée à l'honneur et à la considération du sieur Cadot par des imputations insérées dans la délibération du conseil municipal de Marseille des 6, 7 et 9 fév. 1877 :
Considérant que, quel que soit le caractère des articulations formulées dans la discussion, la ville de Marseille n'en saurait être déclarée pécuniairement responsable, sauf au sieur Cadot à poursuivre, s'il s'y croit fondé, devant l'autorité judiciaire, les auteurs des propos qu'il considérerait comme diffamatoires ;
En ce qui touche la demande en indemnité fondée sur la privation d'emploi :
Considérant que le maire de la ville de Marseille, en nommant, par son arrêté du 16 sept. 1875, le sieur Cadot aux fonctions d'ingénieur directeur de la voirie et des eaux, a fait un acte rentrant dans les attributions qui lui appartenaient aux termes de l'art. 12 de la loi du 18 juil. 1837; que le sieur Cadot ne saurait se prévaloir de cette nomination pour soutenir qu'il avait le droit de conserver ses fonctions pendant un temps déterminé et qu'il ne justifie ni même n'excipe d'aucune convention qui serait intervenue à cet effet, et en dehors de l'arrêté précité, entre lui et la ville de Marseille; que, dans ces circonstances, le maire, en supprimant, par son arrêté du 2 mars 1877, l'emploi occupé par le sieur Cadot, n'a fait encore qu'un acte rentrant dans ses attributions et qui n'a pu ouvrir au requérant un droit à indemnité ;
En ce qui touche la demande en remboursement des retenues opérées sur le traitement du sieur Cadot au profit de la caisse municipale des retraites :
Considérant que le sieur Cadot soutient qu'ayant été révoqué de ses fonctions et ayant ainsi perdu le bénéfice des retenues opérées sur son traitement et le droit à pension qui devait en être la conséquence, il a droit, à titre de dommages-intérêts, au remboursement de ces retenues, devenues sans objet par le fait de la ville de Marseille ;
Considérant qu'aux termes de l'art. 18 du règlement sur les pensions de retraite des employés de la ville de Marseille, approuvé par le décret du 11 nov. 1854, le sieur Cadot, ayant perdu ses droits à pension, ne peut prétendre au remboursement des sommes retenues sur son traitement pour la pension, ni à aucune indemnité équivalente ;
DÉCIDE :
Article 1er - La requête du sieur Cadot est rejetée.
Article 2 - Les dépens seront supportés par le sieur Cadot.
Article 3 - Expédition ... Intérieur.
Analyse
Abstrats : 16-02-05 COMMUNE - ORGANES DE LA COMMUNE - CONSEILLERS MUNICIPAUX - Diffamation dans une délibération - Dommages-intérêts - Compétence.
Résumé : 16-02-05 Une commune peut-elle être déclarée pécuniairement responsable à raison d'articulations diffamatoires formulées dans une délibération du conseil municipal ? - Rés. nég. - C'est devant les tribunaux judiciaires que la personne qui se prétend diffamée peut poursuivre personnellement les auteurs de la diffamation.
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