CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, conclusions, 148683 ▼
En substance
Les règles coutumières du droit international public sont applicables en droit interne. Toutefois, ni l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle, et notamment pas le 14ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel “la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international public”, ne prescrit ni n’implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes.
Conclusions sur Conseil d'État, Assemblée, 6 juin 1997, M. Aquarone
Gilles BACHELIER
Maître des requêtes au Conseil d'État
Commissaire du gouvernement
Monsieur Aquarone, de nationalité australienne, a exercé les fonctions de greffier de la Cour internationale de justice à La Haye. Après son départ à la retraite, il a fixé son domicile à Gordes dans le département du Vaucluse où il réside.
Au cours des années 1981 à 1986, il a perçu de son ancien employeur une pension de retraite qu'il n'a pas déclarée, estimant qu'elle n'était pas davantage imposable que le traitement qu'il avait reçu lorsqu'il était en activité.
Cette analyse a été remise en cause par l'administration fiscale à l'issue du contrôle dont le contribuable a fait l'objet. Le service lui a notifié des redressements suivant la procédure contradictoire et a assujetti à l'impôt sur le revenu les sommes perçues au cours de ces années au titre de sa pension.
M. Aquarone a contesté en vain ces impositions devant le juge du fond. Statuant en formation plénière, le tribunal administratif de Marseille puis la cour administrative d'appel de Lyon ont rejeté ses demandes.
Il se pourvoit régulièrement en cassation contre l'arrêt en date du 5 avril 1993 (Rec. p. 439; concl. D. Richer, Dr. fisc. 1993, n° 42 comm. 2009; note Pr. Teboul, AJDA 1993, p.720; RJF juin 1993, n°5 892 et 893) par lequel la Cour a statué sur sa requête. Précisons qu'en 1996 la Cour de Lyon a adopté la même position à propos de la pension versée à un ancien fonctionnaire de l'Organisation internationale du travail (17 janv. 1996, Paulin, n°92-823: RJF mars 1996, n°344).
Parmi les cinq moyens invoqués, le moyen inédit portant sur la place de la coutume internationale par rapport à la loi a justifié l'examen direct de ce litige par votre Assemblée.
Le requérant reproche à la Cour de ne pas avoir fait prévaloir sur la loi une coutume dont il estime l'existence non contestée et selon laquelle les pensions versées à des anciens membres d'organismes internationaux seraient exonérées.
I. Avant d'examiner si une norme internationale écrite ou non écrite peut être invoquée par le contribuable afin d'échapper à l'imposition, il convient au préalable de vérifier qu'un texte de droit interne permet l'imposition de ces pensions. Telle a été la démarche suivie à bon droit par la Cour.
M. Aquarone soutient qu'aucune loi ni aucune autre norme de droit interne ne réglait le statut fiscal des pensions de retraite perçues par les fonctionnaires internationaux de sorte que la Cour aurait commis une erreur de droit en raisonnant en termes de conflit de normes. Vous rejetterez ce moyen.
En vertu de l'article 4 A du code général des impôts, les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. Selon l'article 4 B du même code, les personnes qui ont en France leur foyer ou leur lieu de résidence principale sont considérées comme ayant leur domicile en France.
Ces articles codifient les dispositions de la loi n° 76-1234 du 29 décembre 1976 dont l'article 17 précise qu'elle est applicable sous réserve des conventions internationales.
M. Aquarone ne conteste pas qu'il avait son domicile fiscal en France. Dès lors et sous réserve d'une norme internationale y faisant obstacle, il était imposable sur l'ensemble de ses revenus et notamment sur ses pensions, lesquelles concourent en vertu de l'article 79 du code général des impôts, et au même titre que les traitements et autres émoluments ou indemnités, à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu.
Précisons que l'assujettissement à l'impôt des pensions remonte à la création de l'impôt sur le revenu. Il a été explicitement prévu par la loi du 15 juillet 1914 portant fixation du budget général et des recettes et des dépenses de l'exercice 1914 puis par la loi du 31 juillet 1917 (H. Isaia et J. Spindler: Histoire du droit des finances publiques, Economica, vol. II, p. 67) et enfin par la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959 dont les dispositions sont aujourd'hui codifiées à l'article 79 du code général des impôts.
Aucune disposition législative n'institue donc une exonération des pensions versées à d'anciens fonctionnaires internationaux.
II. Pour faire échec à l'application de la loi, le requérant soutient ensuite que la Cour a violé le statut de la Cour internationale de justice en écartant son moyen tiré de ce que les impositions qui lui ont été réclamées seraient contraires à ce statut.
Il n'est ni contestable ni contesté que le statut de la Cour internationale de justice a valeur de traité international. En application de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, il a donc une autorité supérieure à la loi. En effet, le statut de la Cour a été annexé à la charte des Nations unies dont il fait partie intégrante en vertu des dispositions de l'article 92 de cette charte signée à San Francisco le 26 juin 1945 et dont le décret du 4 janvier 1946 assurant sa promulgation a été publié au Journal officiel du 13 janvier 1946.
M. Aquarone critique l'arrêt de la Cour de Lyon par deux moyens.
A. Le premier moyen se fonde sur la violation de l'article 32-8 du statut de la Cour internationale de justice selon lequel: "Les traitements, les allocations et indemnités sont exempts de tout impôt."
Devant le juge d'appel, le requérant avait développé la thèse suivante: l'article 32-7 prévoit qu' "un règlement adopté par l'Assemblée générale fixe les conditions dans lesquelles des pensions sont allouées aux membres de la Cour et au greffier". Puisque ces pensions sont allouées, elles ne peuvent être qu'incluses dans les allocations visées à l'article 32-8. Le contribuable invitait aussi la Cour à se référer à la version du statut en langue anglaise, laquelle fait foi au même titre que la version en français.
Cette argumentation qui repose sur un rapprochement à tout le moins artificiel des deux termes "alloués" et "allocations" n'a pas convaincu la Cour qui s'est fondée notamment sur le fait que le texte en langue anglaise du statut n'assimile pas la pension à une allocation.
M. Aquarone ne reprend pas devant vous une thèse aussi précise mais soutient que l'article 32-8 vise les sommes payées en application du statut et ainsi a incontestablement voulu exempter d'imposition l'ensemble de ces sommes y compris les pensions. Le juge du fond aurait donc violé ces dispositions.
Vous contrôlez sous l'angle de l'erreur de droit l'interprétation donnée par une cour d'appel d'une norme de droit international (CE, 1er juin 1994, Letierce, Rec. p. 278; CE, 21 déc. 1994, Serra Garriga, Rec. p. 569).
Les traitements, allocations et indemnités visés par le paragraphe 8 de l'article 32 se réfèrent à des situations décrites par les autres paragraphes.
Ainsi les membres de la Cour reçoivent un traitement annuel (article 32-1) et le traitement du greffier est fixé par l'Assemblée générale sur la proposition de la Cour (article 32-6).
Les allocations sont réservées au président de la Cour qui perçoit une allocation annuelle spéciale (article 32-2) ou au vice-président qui bénéficie d'une allocation spéciale pour chaque jour où il remplit les fonctions de président (article 32-3).
Enfin, les juges autres que les membres de la Cour et qui ont été désignés en application de l'article 31 reçoivent une indemnité pour chaque jour où ils exercent leurs fonctions (article 32-4).
Les pensions sont visées à l'article 32-7 et ne peuvent être regardées ni comme un traitement ni comme des allocations ni comme des indemnités. Il ne résulte donc pas de la lettre de l'article 32-8 que ce texte ait étendu l'exemption qu'il prévoit aux pensions.
M. Aquarone fait valoir également à l'appui de son moyen que cet article ne pouvait expressément viser les pensions dans la mesure où leur institution était subordonnée à l'intervention préalable d'un règlement général. Vous n'êtes pas tenu de répondre à cet argument qui est d'ailleurs nouveau en cassation. Il ne saurait en toute hypothèse vous convaincre. Le fait que le statut renvoyait à un règlement adopté par l'Assemblée générale les conditions dans lesquelles des pensions seraient allouées ne faisait pas obstacle à ce que celles-ci fussent mentionnées expressément à l'article 32-8 de ce même statut.
L'interprétation donnée par la Cour de Lyon de ces stipulations n'est donc pas critiquable.
B. Le second moyen reproche à la cour d'appel d'avoir estimé que le juge administratif n'était pas lié par les déclarations de certains des présidents de la Cour internationale de justice selon lesquelles l'exemption fiscale prévue à l'article 32-8 du statu était applicable aux pensions.
M. Aquarone se prévalait de la déclaration du 30 mai 1958 du président de la Cour dont les termes ont été approuvés ultérieurement les 23 juin 1965 et 2 février 1979 par les présidents alors en exercice de cette Haute Instance. On observera que ces trois déclarations se prononçaient explicitement seulement sur le caractère non imposable des pensions des membres de la Cour. C'est la déclaration du 1er février 1985 du président en fonction à cette date qui indique que la pension versée au greffier est exempte de toute imposition. Cependant cette analyse était déjà contenue dans la déclaration de 1958.
La Cour de Lyon a jugé que ces déclarations ne constituaient pas des décisions juridictionnelles susceptibles de s'imposer aux juridictions françaises.
Selon le requérant, le statut de la Cour internationale de justice confère à son président un pouvoir juridique d'interpréter les règles statutaires de sorte que le sens donné par cette autorité à ces règles s'impose aux États signataires de la charte.
Le ministre du Budget ne conteste pas en défense l'existence d'un tel pouvoir mais fait valoir que cette interprétation ne peut intervenir qu'au regard des dispositions prévues par le statut.
Même si devant la cour d'appel le requérant ne s'était pas prévalu formellement de l'existence d'un pouvoir spécifique d'interprétation détenu par le président de la Cour internationale de justice, le moyen dont vous êtes ainsi saisi nous paraît recevable en cassation dès lors qu'il porte sur l'interprétation à donner de la portée de l'article 32-8 et qu'il se rattache ainsi directement à l'argumentation soumise au juge du fond.
Mais s'il est recevable, ce moyen n'est pas fondé pour deux raisons, étant observé que le fait que ces personnalités soient juge et partie, puisque leur propre pension est en cause, ne saurait vous retenir, cette circonstance n'étant pas a priori et par elle-même de nature à mettre en doute la rectitude de leur analyse.
1. La première raison tient à ce qu'aucune disposition du statut de la Cour internationale de justice ne confère à son président le pouvoir d'interpréter les règles statutaires au regard de la situation fiscale des anciens membres de la Cour ou du greffier.
On observera, en premier lieu, que lorsque certaines difficultés se présentent quant à l'incompatibilité entre la qualité de membre de la Cour et l'exercice d'une fonction politique ou administrative ou d'une activité professionnelle (article 16) quant à la composition de la Cour pour statuer sur une affaire déterminée (article 17 et 24) ou encore quant aux règles de compétence (article 36) ou de procédure (articles 39, 46 et 62), il appartient à la Cour de décider. Ainsi dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires, la Cour de La Haye, dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, a interprété les termes de l'article 36-5 de son statut qui différaient selon la version française ou anglaise de ce texte (CIJ, 26 nov. 1984, Rec. CIJ p. 382). Ce pouvoir d'interprétation est reconnu à la Cour et non à son président et se situe dans la sphère de l'activité juridictionnelle.
En deuxième lieu, si l'article 30 du statut prévoit que la Cour détermine par un règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions, ce règlement dont l'élaboration relève de la compétence de la Cour et non de celle de son président, a pour seul objet d'organiser les règles de fonctionnement et de procédure de cette institution. L'article 12 du règlement confiant au président le soin de contrôler les services de la Cour ne peut avoir pour effet d'habiliter cette autorité à se prononcer sur le sort fiscal des pensions servies au greffier.
En troisième lieu et dernier lieu, il est clair que les déclarations invoquées par M. Aquarone n'ont pas la nature de décisions juridictionnelles qui en tant que telles seraient susceptibles le cas échéant de s'imposer aux juridictions françaises.
2. La seconde raison réside dans le fait que pour l'interprétation de la portée de l'article 32-8 du statut de la Cour de La Haye, ces déclarations ne peuvent avoir la conséquence que le requérant leur prête au regard des techniques d'interprétation des traités résultant des principes généraux de droit international public.
Ces principes ont été codifiés aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 25 septembre 1969 sur le droit des traités (J. Dehaussy et M. Salem: Sources du droit international: Les Traités Internationaux, Juris-Classeur Dr. intern., fasc. 12-6, n° 8s.). Même si la France n'a pas signé cette convention, ces règles d'interprétation guident sur ce point votre démarche (V., en ce sens, les concl. de notre collègue R. Abraham sur votre déc. d'Ass. Gisti 29 juin 1990, Rec. p. 171 et notamment p. 179).
Selon l'article 31-1 de la Convention, un traité doit être interprété suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
En vertu de l'article 31-3 b) il sera tenu compte en même temps que du contexte "de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité".
L'article 32 permet d'avoir recours à des moyens complémentaires lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 laisse le sens ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.
Or, de ce point de vue, le sens ordinaire de l'article 32-8 du statut ne prévoit pas l'exemption fiscale des pensions. Il est dépourvu de toute ambiguïté ou obscurité et ne conduit pas à un résultat absurde ou déraisonnable. Par ailleurs, les déclarations de plusieurs présidents de la Cour de La Haye correspondent à des points de vue émis régulièrement par ces personnalités et ne révèlent pas une pratique dans l'application du statut au sens des règles d'interprétation. En effet, ces autorités ne représentent pas les États-parties au traité et leurs prises de position ne peuvent ainsi être regardées comme établissant l'accord des États à l'interprétation du statut.
Enfin l'article 31-3 c) de la Convention de Vienne prévoit qu'il sera aussi tenu compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Or, en droit international, une règle coutumière peut être sous-jacente à un article conventionnel et, dans ce cas, la Cour internationale de justice n'hésite pas à interpréter ce texte en référence au droit coutumier (V., en ce sens, sur l'interprétation de l'article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental: CIJ, 14 juin 1993, Affaire de la délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen, Danemark/ Norvège, Rec. CIJ p. 40).
Mais, ainsi que nous vous le dirons ultérieurement, il n'existe pas de coutume internationale d'exonération fiscale des pensions. Au demeurant, le requérant ne prétend pas que l'article 32-8 du statut devrait être interprété à la lumière de cette coutume, que ce texte ne ferait que révéler.
Ainsi, et après examen des trois premiers moyens, les dispositions du code général des impôts prévoient l'imposition des pensions et n'entrent pas en conflit avec le statut de la Cour internationale de justice.
Précisons également, - cette question devant être examinée d'office par le juge (CE, 19 déc.1986, n° 54101, RJF févr. 1987, n° 176) -, qu'au regard de l'imposition de la pension perçue en France par M. Aquarone, ressortissant australien, aucune conséquence ne peut être tirée d'une autre norme écrite, à savoir la convention franco-australienne du 13 avril 1976 destinée à éviter les doubles impositions dans sa rédaction applicable aux années 1985 et 1986.
Avant la modification apportée à cette convention par l'avenant du 19 juin 1989, l'article 17 de ladite convention prévoyait l'imposition des pensions, qu'elles soient publiques ou privées, dans l'État de résidence du bénéficiaire. La situation particulière d'un contribuable qui ne perçoit pas une pension de l'un des deux États contractants n'est d'ailleurs pas affectée par cet avenant.
III. Il reste à examiner si, comme le requérant le soutient, l'application de la loi ne se heurte pas à une norme non écrite du droit international public en vertu de laquelle les pensions des fonctionnaires internationaux seraient exemptées d'imposition.
A. Devant la cour d'appel, M. Aquarone avait développé une argumentation substantielle fondée, d'une part, sur l'existence d'une coutume internationale dont la primauté sur la loi interne serait reconnue par l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et, d'autre part, sur la conformité de l'exemption des pensions allouées par la Caisse commune du personnel de l'Organisation des Nations unies avec plusieurs principes généraux de droit international, à savoir:
- le principe d'égalité entre États membres d'une organisation internationale;
- le principe "Noblemaire" du nom du président de la Commission d'experts chargée par la Société des Nations d'examiner la question des rémunérations versées par cette organisation internationale à ses agents et en vertu duquel les traitements comme les pensions de retraite versées aux fonctionnaires des organisations internationales bénéficieraient d'une immunité fiscale;
- le principe de non double imposition;
- et enfin le principe de non-discrimination par rapport aux anciens membres d'autres organisations internationales. En l'espèce, il s'agissait des agents des Communautés européennes qui sont soumis au profit de celles-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments y compris les pensions de sorte qu'ils sont exemptés à ce dernier titre des impôts nationaux ainsi que le précise une instruction de l'administration fiscale du 1er juillet 1988 (Doc. fisc., Francis Lefèbvre Int. Gén., n°6980).
La Cour a écarté comme inopérants l'ensemble de ces moyens au motif que "si l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 dont se prévaut M. Aquarone, selon lequel "La République française, fidèle à ses traditions se conforme aux règles du droit public international", n'est pas nécessairement dépourvu de toute portée en droit interne, il ne saurait, en revanche, avoir pour effet de conférer aux règles coutumières ou même aux principes de droit international l'autorité supérieure à la loi que l'article 55 de la Constitution de 1958 confère dès leur publication aux seuls traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvé ".
B. M. Aquarone limite sa contestation de ce motif à la coutume internationale et invoque deux moyens.
1. Il fait valoir, en premier lieu, que le juge du fond ne vous met pas à même d'exercer votre contrôle dans la mesure où l'arrêt ne permet pas de savoir si la Cour a estimé que la coutume internationale n'était pas invocable en tant que telle en droit interne ou qu'elle ne pouvait trouver à s'appliquer avec une autorité supérieure à la loi.
Ce moyen fondé sur l'insuffisante motivation de l'arrêt ne peut être retenu. La Cour a exprimé clairement et suffisamment la règle de droit dont elle entendait faire application pour écarter l'argumentation du contribuable. Sa décision ne souffre pas du vice allégué.
2. Le requérant soutient, en second lieu, que la Cour a commis une erreur de droit dès lors que l'article 55 de la Constitution ne saurait être interprété comme ayant exclu les règles non écrites du droit international du champ d'application d'un principe selon lequel la supériorité du droit international sur la loi ne vaut pas que pour les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés.
Pour vous convaincre de la pertinence de ce moyen, M. Aquarone se prévaut de votre jurisprudence sur le droit communautaire dérivé. Le traité de Rome pose comme règle l'applicabilité directe en droit interne des règlements communautaires et fixe aux États-membres une obligation de transposer dans leur droit interne le contenu des directives.
Tirant toutes les conséquences de votre décision d'Assemblée Nicolo (CE, 20 oct. 1989, Rec. p.190, concl. P. Frydman, p. 191; Grands arrêts de la jurisprudence administrative, 11e éd, n°113) vous avez reconnu la supériorité des règlements communautaires sur les lois postérieures (CE, 24 sept. 1990, Boisdet, Rec. p. 251; chron. E. Honorat et R. Schwartz, AJDA 1990, p. 863; concl. Mme Laroque, Petites Affiches, 12 oct.1990; note Pr. Dubouis, cette Revue 1991, p. 172) et par vos décisions d'Assemblée Société Rothmans international France et Société Philip Morris France (CE, 28 févr. 1992, Rec. p. 78 et p. 81; concl. Mme Laroque, AJDA 1992, p. 210; chron. Mme Maugüé et R. Schwartz, p. 329; note Pr. Dubouis, cette Revue 1992, p. 425) vous avez fait prévaloir les objectifs d'une directive communautaire sur la loi postérieure.
Cependant, et contrairement à ce que prétend le requérant, cette jurisprudence ne repose pas sur une conception extensive qui aurait été la vôtre de l'article 55 de la Constitution mais trouve sa justification dans les engagements contractés par la France lors de la signature du traité et qui couvrent tant ses stipulations que les mesures prises pour leur exécution et qui en sont nécessairement dérivées.
Ainsi que le président Galmot l'indiquait dans son commentaire de la décision Nicolo (CJEG, mars 1990, p. 73) "laisser le droit dérivé hors de l'habilitation de l'article 55 de la Constitution reviendrait à faire sortir de cette habilitation la majeure partie du traité lui-même, car le droit dérivé tient son autorité vis-à-vis des droits nationaux des diverses dispositions du traité, qui prévoit l'intervention de règlements, directives ou décisions, combinées avec celles de l'article 189 qui définit les obligations que ces actes de droit dérivé font peser sur les États-membres. Refuser de contrôler la conformité d'une loi à un acte de droit communautaire dérivé, légalement pris, reviendrait donc à refuser de contrôler la conformité d'une loi aux diverses dispositions d'un traité qui prévoient l'intervention de cet acte et en définissent les effets juridiques".
Au demeurant le Conseil constitutionnel a lui-même indiqué que les actes de droit dérivé avaient les mêmes effets que le traité au regard de l'article 55 (n°70-39 DC du 19 juin 1970, Rec. p. 24; n°77-90 DC du 30 déc. 1977, Rec. p. 44).
Votre jurisprudence sur le droit communautaire dérivé ne vous donne donc aucune indication utile quant à la place de la coutume internationale dans la hiérarchie des normes.
Mais vous ne sauriez évidemment en rester à ce constat et vous devez vous prononcer sur le bien-fondé du motif retenu par la cour d'appel même si le requérant n'a pas explicité davantage son moyen.
C. Vous ne pourrez, en effet, faire l'économie de la question qui vous est soumise en vous retranchant derrière le fait que la coutume internationale invoquée par le requérant n'existe pas car tel n'est pas le motif retenu par la cour d'appel et vous ne pourrez opérer une substitution de motifs.
1. La coutume constitue en droit international une source de droit. L'article 38 du statut de la Cour internationale de justice dispose que pour accomplir sa mission de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, la Cour applique "la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit ".
Cette définition qui rejoint celle généralement admise par la doctrine suppose la réunion de deux éléments (S. Sur, Sources du droit international: la coutume, Juris-Classeur international, fasc. 13, n° 63 s.) :
- un élément objectif: une pratique générale pertinente et cohérente des États;
- un élément subjectif: "l'opinio juris", c'est-à-dire la conviction que cette pratique correspond à l'exécution d'une obligation juridique.
Or, de ce point de vue, indépendamment du fait que de manière générale il est permis de douter du fait qu'une coutume internationale puisse prévoir l'exonération d'un revenu catégoriel, les pièces soumises au juge du fond ne révèlent pas l'existence de la coutume alléguée par le requérant.
En effet, le ministre reconnaît, certes, qu'il existe quelques pays qui exonèrent les pensions allouées par la Caisse commune du personnel de l'Organisation des Nations unies. Tel est le cas de la Suède et de l'Inde.
En Suède, ce principe résulte d'une décision de la Cour suprême administrative du 2 avril 1984, décision qui regarde la pension comme le produit de services rendus dans un emploi antérieur d'une organisation internationale et à ce titre est exonérée de l'impôt suédois sur les revenus. En Inde, la Karnato High Court a reconnu que l'exonération des traitements des fonctionnaires internationaux devait être étendue aux pensions.
Mais le ministre indique, sans être contredit, qu'à l'exception de ces quelques exemples qui demeurent isolés, il n'existe pas de pratique générale des États allant en ce sens. C'est aussi ce que relève la doctrine et, notamment, M. Witold Zyss, ancien fonctionnaire à l'UNESCO et ancien président la Fédération des associations de fonctionnaires internationaux, pour le déplorer (Les pensions des fonctionnaires internationaux, chap. II, Les Prestations, p. 64; Le régime commun des Nations unies, RGDIP, 1987, p. 314).
Par ailleurs, si les rémunérations des fonctionnaires en activité ne sont pas soumises à l'impôt national sur le revenu, ainsi que le prévoit explicitement la Convention sur les privilèges et immunités de l'Organisation des Nations unies, cette exonération trouve sa justification dans la nécessité de préserver l'égalité tant des fonctionnaires que des États-membres des organisations internationales.
Cette égalité serait rompue si ces fonctionnaires devaient s'acquitter d'un impôt national, ce qui conduirait à une rémunération différente en fonction du pays où ils seraient imposés. De même, l'égalité des États serait remise en cause si les États où siègent des organisations internationales pouvaient se faire rembourser une partie de leur contribution à ces organisations par le biais d'un prélèvement fiscal sur les rémunérations qu'elles versent.
Mais cette immunité fiscale est consentie dans l'intérêt des organisations internationales dans le cadre de la réalisation de leurs buts organiques et compte tenu des contraintes imposées à leurs membres. Elle ne vise pas à procurer un avantage personnel aux fonctionnaires internationaux.
Dès lors que ceux-ci ne sont plus en activité, la nécessité d'une exonération des pensions ne se justifie pas. L'opinio juris fait donc tout autant défaut.
Cela est si vrai que dans le cadre de la Caisse commune du personnel de l'Organisation des Nations unies, il a été décidé, en 1960, de modifier le mode de calcul des pensions précisément afin de tenir compte du fait qu'elles étaient en général frappées d'un impôt national. Le traitement de référence qui était à l'époque le traitement net, c'est-à-dire la rémunération brute amputée de la contribution versée à l'organisation et représentant l'équivalent de l'impôt, est désormais la rémunération brute.
Ainsi, aucune coutume de la nature de celle invoquée par le requérant n'existe. Par suite, s'il est vrai que le litige soumis à la cour d'appel ne se posait pas en termes de conflit de normes, cela ne résulte pas de l'absence de toute loi permettant l'imposition de ses pensions comme M. Aquarone l'a prétendu, mais cela provient de l'absence de toute coutume. De ce fait, et incidemment, on relèvera qu'il n'existait pas non plus en toute hypothèse de conflit entre le statut de la Cour internationale de justice, norme conventionnelle écrite, et une norme non écrite.
À partir de là, il nous semble qu'il n'était pas nécessaire pour la cour d'appel de prendre parti sur a place respective de deux normes alors que l'une l'entre elles n'existait pas, ce que l'arrêt a d'ailleurs relevé puisqu'il indique que les déclarations des présidents successifs de la Cour internationale de Justice ne s'appuient sur aucune règle même coutumière en ce sens.
2. Cependant, cette observation implique seulement que le moyen présenté au juge du fond était inopérant. Or, la cour d'appel a également estimé que l'argumentation qui lui était soumise était inopérante.
Le juge de cassation, juge de l'arrêt de la Cour, doit se prononcer sur le bien-fondé du motif retenu par le juge du fond et ne peut, en dehors des cas admis par la jurisprudence, procéder à sa guise à une substitution de motifs pour confirmer le dispositif de la décision attaquée. Votre décision serait alors interprétée comme une censure implicite de la position de la Cour alors même que celle-ci ne serait pas erronée.
Pour opérer une telle substitution de motifs, deux conditions doivent être cumulativement réunies (J. Massot, O. Fouquet, J.H. Stahl, Le Conseil d'État juge de cassation, 2e éd, Berger-Levrault, 1996,11.3.16): le motif que le juge substitue correspond soit à un moyen d'ordre public (par exemple un moyen tiré du champ d'application de la loi: CE, 3 févr.1964, Happart, Rec. p. 80 ou un moyen fondé sur l'irrecevabilité de la demande devant le juge du fond en raison du défaut de qualité du demandeur: CE, 11 janv. 1961, Société Celtex, Rec. p. 24 ou du défaut de moyen: CE, 25 janv. 1980, Gras, Rec. p. 50 ou de la tardiveté de la requête: CE, 4 mars 1966, Dame veuve Devaux, Rec. p. 179) soit à un moyen invoqué devant le juge du fond (CE, 12 janv. 1963, Nourry, Rec. p. 355) et ce motif n'implique aucune appréciation de circonstance de fait.
En l'espèce ces conditions ne sont pas remplies dans le mesure où l'existence de la coutume invoquée nécessite l'appréciation de données factuelles. Vous devrez donc vous prononcer sur le bien-fondé du motif retenu par le juge du fond. C'est ce qu'il faut maintenant vérifier.
D. Ce motif conduit, en premier lieu, à s'interroger sur la portée de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 repris dans la Constitution du 4 octobre 1958. Rappelons que la Cour a estimé que cette disposition n'était pas nécessairement dépourvue de toute portée en droit interne.
1. Cette lecture devrait être censurée si vous estimiez que ce texte traduit seulement l'engagement par la France de se conformer dans ses relations internationales aux règles du droit public international. Dans ce cas, il n'affecte pas la sphère interne et, en particulier, ne régit pas les rapports entre le droit interne et le droit des gens comme on appelle encore aujourd'hui parfois le droit international public.
Le professeur Teboul (Le Droit international non écrit devant le juge administratif: quelques réflexions, RGDIP 1991, p. 321) observe que l'alinéa 14 peut faire l'objet d'une double lecture.
Il peut d'abord être appréhendé comme un bloc ayant une unité. Les deux phrases qui le composent doivent être lues ensemble ce qui signifie que la France, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international et n'entreprendra donc aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple.
Telle est certainement sous cet angle la portée de ce texte. Trois éléments doivent à cet égard être mentionnés.
Nous relevons d'abord que les traditions auxquelles il est alors fait référence, sont les traditions constitutionnelles de la France puisque la renonciation à la guerre de conquête et à l'emploi de la force remonte au célèbre décret du 22 mai 1790 de l'Assemblée constituante formulant la doctrine de la guerre juste et se retrouve dans les Constitutions du 3 septembre 1791 (Titre VI) et du 4 novembre 1848 (Préambule).
Or l'alinéa 14 est la reproduction littérale de l'article 46 du premier projet de Constitution de 1946 et il n'est pas sans intérêt de noter que la rédaction de cet article fait suite notamment à l'adoption d'un amendement de M. Devèze (séance du 22 mars 1946) qui était inspiré de la disposition du Préambule de la Constitution de 1848, disposition qui faisait référence aux guerres de conquêtes et à l'emploi des forces et qui précisait aussi que la France respectait les nationalités étrangères comme elle entendait faire respecter la sienne.
Nous indiquerons ensuite que M. Guillet, rapporteur de cet article 46, présenta ce texte en insistant uniquement sur sa dimension internationale (Assemblée nationale constituante, 2e séance du 11 avril 1946: JO, p. 1724). Juste après la Seconde Guerre mondiale, le souci de la paix entre les nations a à l'évidence inspiré le constituant. Le commentaire de la Constitution du 27 octobre 1946 publié au Recueil Sirey en 1947 (lois annotées, 1947, p. 555) fait référence pour l'alinéa 14 aux propos tenus par M. Guillet.
Nous mentionnerons enfin que la Commission de la Constitution, en charge de l'élaboration d'une nouvelle loi fondamentale après le rejet par le peuple du premier projet, s'est principalement préoccupée de la place de ce texte dans la Constitution. Or son intégration non dans les articles mais dans le Préambule parmi les principes particulièrement nécessaires à notre temps a de ce point de vue tout son sens. L'obligation de ne pas recourir à la force, dans l'ordre international prend en 1946 tout son relief.
L'alinéa 14 doit donc certainement être lu à la lumière de son contexte historique.
2. L'arrêt de la cour de Lyon ne contredit en rien cette lecture de l'alinéa 14 dans sa dimension internationale. Mais en conférant une autonomie à la première phrase de ce texte et en estimant qu'elle n'était pas dépourvue de toute portée le juge du fond ne nous paraît pas avoir commis d'erreur de droit et ce pour trois raisons.
a) En premier lieu, il convient de relever que - telle est la deuxième lecture - des préoccupations d'ordre interne se sont manifestées lors des discussions préparatoires. Ainsi, lors de la séance du 17 juillet 1946 (Comptes rendus analytiques, 20 juin 1946 au 30 octobre 1946, p. 125), M. Coste Floret, rapporteur général de la Commission de la Constitution, examinant l'article 46 du premier projet, qui figurait dans le Titre 1er des Institutions de la République consacré à la souveraineté et non dans la Déclaration des Droits de l'homme qui le précédait, précise que "cet article correspond à un texte que la proposition socialiste range parmi les articles de la Déclaration des droits".
Le président de la Commission répond en ces termes: "Nous avons voulu éviter de l'insérer parmi les textes relatifs aux institutions où le contrôle de constitutionnalité lui serait applicable. Des risques graves pourraient naître de là"(Comptes rendus, préc. p. 126).
Rappelons à cet égard que l'article 91 de la Constitution de 1946 prévoyait que le Comité constitutionnel devait examiner si les lois votées par l'Assemblée nationale supposaient une révision de la Constitution et que l'article 92 prévoyait que le Comité n'était compétent que pour statuer sur la possibilité de révision des dispositions des Titres I à X ce qui excluait donc le Préambule (M. Mignon, La valeur juridique du Préambule de la Constitution selon la doctrine et la jurisprudence, Dalloz, 1951, chron., p.127). D'où l'importance de l'insertion de l'alinéa 14 dans le Préambule.
Il y avait donc bien là une préoccupation d'ordre interne.
Et s'il faut alors s'interroger sur la justification de la référence aux traditions, celle-ci pourrait s'expliquer, comme le souligne la doctrine, par la tradition juridictionnelle exprimée par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Depuis le début du XIXe siècle les tribunaux judiciaires appliquent directement les règles du droit international public coutumier. Ainsi la Cour de cassation a défini le régime juridique de l'occupation d'un pays par une puissance étrangère par référence à "une coutume aussi ancienne qu'universelle chez les peuples civilisés devenue une maxime incontestable du droit des gens" (Cass. ch. req., 6 avr. 1826, Viturbi et Totti: Sirey 1825-1827.1.312).
De même et pour déclarer le juge judiciaire incompétent, elle applique la règle coutumière de l'immunité de juridiction des États. Ainsi, par un arrêt du 22 janvier 1849, Gouvernement espagnol c/ Lambège et Pujol, la Cour de cassation déclara que ce principe d'immunité découlait de l'indépendance des États "qui est l'un des principes les plus universellement reconnus du droit des gens". Et cette jurisprudence a été constamment réaffirmée ultérieurement (Cass. ch. req., 23 janv. 1933, Hanukiew: Sirey 1933, 1re partie, p. 249; Cass. civ., 4 fév. 1986, General Maritime Transport Company c/Marseille fret: Clunet, 1987, p.112).
b) Plus fondamentalement - il s'agit de la deuxième raison - la cour d'appel nous paraît, à juste titre, avoir eu en vue le fait que ce texte consacre l'inspiration moniste de la pratique de la France excluant tout cloisonnement entre l'ordre international et l'ordre juridique interne.
La question qui vous est posée porte sur le point de savoir si la coutume internationale peut de manière générale avoir directement la valeur d'une norme en droit interne étant observé qu'à ce stade il ne s'agit pas de s'interroger sur l'existence d'un effet direct d'une coutume déterminée et sur son invocabilité en droit interne (voyez sur l'impossibilité d'invoquer, à l'appui d'une demande d'annulation d'un acte individuel ou réglementaire, des clauses conventionnelles dépourvues d'effets directs à l'égard des particuliers: CE, Sect., 23 avr. 1997, GISTI, AJDA 1997, p. 482 et chron. D. Chauvaux et T.X. Girardot, p. 435).
Dans son article " La Constitution de 1946 et le droit international" (D. 1948, p. 5) M. Donnedieu de Vabres insistait sur le souci manifesté par l'alinéa 14 du Préambule de restituer au droit public son unité et de reléguer au second plan la distinction entre le droit international et le droit interne.
Une lecture dualiste de ce texte est envisageable. Elle repose sur l'idée selon laquelle il a seulement pour objet d'imposer le respect des règles du droit international mais n'emporte pas intégration automatique de ces règles dans le droit interne.
La règle internationale non écrite devrait donc être transformée en norme de droit interne par l'effet d'une disposition de droit interne. C'est un raisonnement de ce type qui sous-tend les conclusions du président Heumann (Dalloz, 1958, p.10) dans votre décision de Section du 22 novembre 1957, Myrtoon Steamship Company (Rec. p. 632). Afin de vous convaincre de décliner votre compétence en matière d'angarie, c'est-à-dire de réquisition des navires étrangers en temps de guerre, le président Heumann a indiqué que ce droit séculaire était consacré par la coutume internationale mais que les tribunaux nationaux ne pouvaient se saisir de différends relatifs à la légitimité ou aux conséquences pécuniaires d'un acte qui ne trouve d'autre source que dans la coutume internationale. Et votre commissaire d'ajouter "pour qu'il en soit autrement, il serait nécessaire qu'un texte ait posé des règles de droit dont le juge interne aurait à assurer le respect". Votre Section a reconnu aux actes en cause le caractère d'actes de gouvernement.
Une préoccupation du même ordre n'est-elle pas aussi sous-jacente, bien que l'argumentation soit différente, à la suggestion de Mme le président Questiaux dans ses conclusions (RD publ. 1966, p.789) sur votre décision d'Assemblée Société Ignazio Messina (CE, 30 mars 1966, Rec. p. 258) reprise par M. Dandelot dans ses conclusions (cette Revue 1987, p. 479) sur votre décision de Section Société Les mines de potasse d'Alsace (CE, 18 avr. 1986, Rec. p. 116), suggestion selon laquelle rien n'empêche de donner à un principe de droit international la valeur d'un principe général du droit interne ? C'est donc par ce biais qu'une règle coutumière internationale pourrait acquérir une applicabilité directe en droit interne.
Cependant cette lecture dualiste se heurte selon nous à trois objections: l'absence de justification d'un régime asymétrique entre les traités et les règles non écrites; le fait que ces deux sources de droit ont en droit international la même valeur; et, enfin et surtout, votre jurisprudence.
- En premier lieu, le monisme prévalant en matière de traités, nous ne voyons pas de raison déterminante de retenir des règles différentes pour les règles non écrites du droit international auxquelles la France se conforme.
Nous n'ignorons pas que des exemples tirés du droit comparé révèlent l'existence de régimes dissymétriques entre ces deux sources de droit.
Ainsi, au Royaume-Uni, les tribunaux s'inspirent de la maxime de Blackstone, mentionnée dans ses commentaires en 1765 selon laquelle les règles internationales font partie de la loi du pays. En conséquence elles peuvent être invoquées à l'occasion des litiges portés devant les juridictions nationales (Cf. Dutheil de la Rodière: Le droit international fait-il partie du droit anglais ? Mélanges Reuter, p. 246). En revanche et en application de la doctrine dualiste, un traité conclu par le Royaume-Uni n'est pas applicable en tant que tel en droit interne. Dans son article précité (paru à la RGDIP en 1991) le professeur Teboul cite également l'exemple du Canada.
Mais, nous observons que dans ces cas, c'est la règle internationale non écrite qui est intégrée automatiquement dans le droit interne sans avoir à mettre en œuvre le principe de la transformation et que c'est la convention qui est soumise à ce principe. Cette dissymétrie peut, dès lors, se comprendre car l'on est en présence respectivement de règles telles que celles universellement reconnues et d'actes contractuels qui résultent d'une négociation entre des États et procèdent donc d'un échange de consentement avéré.
La situation de la France correspondrait à une hypothèse exactement inverse de la précédente en ce sens que ce serait la règle internationale non écrite qui relèverait de la doctrine dualiste et les actes conventionnels de la solution moniste. En l'absence de texte imposant une solution contraire, et alors que la formule de Blackstone semble selon la doctrine avoir une valeur quasi universelle, le souci d'une harmonie entre les sources conventionnelles et les sources non écrites du droit international recommande de retenir une solution identique.
- En deuxième lieu, cette analyse nous paraît d'autant plus justifiée qu'en droit international la doctrine s'accorde pour reconnaître qu'il n'existe pas de hiérarchie entre la coutume et le traité. Le principe de l'égalité juridique règne (S. Sur: Juris-Classeur international, fasc. 13, n°112; Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier, A. Pellet: Droit international public, 3e éd., p. 106; Ch. Rousseau, Droit international public, p. 342; P. Reuter, Droit international public, p. 73).
- En troisième et dernier lieu, les éléments qui précèdent sont confortés par votre jurisprudence.
Certes, nous n'avons trouvé aucune décision qui fasse application explicitement de la coutume internationale.
Ce constat résulte de la conjonction de plusieurs facteurs.
Le premier facteur tient sans doute à la rareté des litiges où elle est susceptible d'être invoquée. De ce point de vue, pour importante qu'elle soit sur le plan théorique, votre décision, quelle que soit d'ailleurs son sens, ne donnera lieu qu'à de très rares applications pratiques.
Un particulier ne peut en effet se prévaloir d'une coutume que si elle lui confère des droits et est suffisamment précise. Or cet effet direct est limité à la fois par le fait que le droit coutumier se compose pour une part conséquente de règles qui ne régissent que les relations entre États et par le développement considérable du droit conventionnel. Des domaines entièrement régis jadis par la coutume tel le droit de la mer font aujourd'hui l'objet pour une part substantielle d'instruments conventionnels multilatéraux ou bilatéraux et ce sont ces instruments que le juge appliquera.
Le deuxième facteur participe de l'application du principe de l'interprétation conforme en vertu duquel lorsqu'une disposition se prête à plusieurs interprétations elle sera interprétée de manière conforme aux obligations internationales de la France auxquelles elle est réputée se conformer.
Enfin le troisième facteur trouve sa source dans la réserve du juge devant cette norme non écrite Nous partageons les raisons de cette réserve qui tiennent pour l'essentiel à l'incertitude de cette règle internationale quant au processus même de sa formation, quant à la date à laquelle elle doit être regardée comme constituée, - question fondamentale s'il y a lieu de la confronter à la loi selon que celle-ci est antérieure ou postérieure à la coutume -, voire même quant à son contenu.
Sur ce point nous nous bornerons à rappeler que la coutume se décline en droit international selon divers modes ce qui pose aussi le problème de leur combinaison: coutume universelle, coutume régionale, coutume technique ou particulière et il est même parfois fait état de coutume sauvage.
Essentiellement juge du droit écrit, le juge administratif manifeste donc de la prudence vis-à-vis d'une norme qui, par sa nature même, ne se publie pas, ne se ratifie pas davantage et se révèle d'un maniement délicat. Ces considérations trouvent en elles-mêmes leur justification.
Cela dit, ces observations ne signifient pas que vous ignoriez la norme non écrite de droit international. Ainsi l'appréciation que vous portez sur votre compétence peut être dictée par des principes coutumiers, tel celui de l'immunité de juridiction des États (CE, 18 juill.1941, Rovera, Rec. p. 141; CE, 29 juin 1951, Société Bonduelle, Rec. p.376; CE, 30 nov. 1962, Consorts Weiss, Rec. p. 643).
Par ailleurs, nous relevons que si l'interprétation de votre jurisprudence est délicate dans les litiges d'excès de pouvoir vous avez admis l'application directe d'une norme internationale non écrite dans le plein contentieux.
En excès de pouvoir trois décisions doivent être mentionnées. En 1986, dans votre décision Société Les mines de potasse d'Alsace précitée, et alors qu'était invoquée aussi devant vous la méconnaissance de règles coutumières et de principes de droit international, vous vous êtes borné à relever que les décisions attaquées n'étaient pas contraires à une stipulation du droit international, référence la transparente à la terminologie utilisée en matière de convention.
Votre décision Ordre des avocats à la Cour de Paris (CE, 15 mai 1987, Rec. p. 175) rejette un recours dirigé contre une circulaire au motif que les dispositions qu'elle contient ne contredisent pas des règles du droit international ayant force de loi sur le territoire national. Toutefois l'arrêt n'est pas fiché au Recueil Lebon pour ce motif et les conclusions prononcées par le commissaire du gouvernement n'apportent pas sur ce point d'éclairage sur la portée de cette motivation.
Mais il faut également relever qu'en 1985 vous avez accepté d'examiner, sans le qualifier d'inopérant, un moyen fondé sur la violation d'un principe de droit international (CE, 27 sept. 1985, France terre d'asile, Rec. p. 263).
La situation est en revanche très claire dans le contentieux de la responsabilité en raison de votre décision de Section Société Nachfolger Navigation Company(CE, 23 oct. 1987, Rec. p. 319; concl. président Massot, cette Revue, p. 963; chron. M. Azibert et Mme de Boisdeffre, AJDA 1987, p. 725).
Dans cette affaire, vous étiez saisi d'un recours en responsabilité dirigé contre l'État à propos de l'intervention de la Marine française qui avait coulé, alors qu'il se trouvait encore en dehors des eaux territoriales et dérivait vers les côtes françaises, le navire Ammersee, bateau chargé d'explosifs et qui avait été abandonné par son équipage à la suite d'une avarie et d'un début d'incendie.
Votre Section a jugé qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, l'autorité maritime française dont l'action ne pouvait évidemment trouver un fondement légal dans un texte de droit interne avait pu ordonner la destruction en haute mer de cette épave sans méconnaître aucun principe de droit international. Votre décision écarte pour ce motif la responsabilité pour faute de l'État qui était recherchée par la société.
Vous avez ainsi fait directement application en droit interne d'un principe de droit international. Certes il ne s'agit pas d'une coutume. Mais les conclusions de votre commissaire de gouvernement font apparaître qu'en réalité vous étiez en présence d'une coutume internationale et le président Massot vous avait habilement suggéré d'examiner si l'intervention de la Marine française pouvait "trouver un fondement dans les principes généraux du droit international applicables à la haute mer, formulation peut-être moins malsonnante à vos oreilles que celle qui se référerait à une coutume internationale".
Votre jurisprudence est donc clairement orientée sur ce point par un arrêt de Section et nous empruntons le principe qu'il pose pour reconnaître à la coutume internationale la valeur d'une norme en droit interne.
Bien que votre décision Sté Nachfolger ne mentionne pas la Constitution et son Préambule dans ses visas, il nous semble que l'alinéa 14 permet en tout cas de justifier l'application directe en droit interne d'une norme internationale non écrite.
c) La troisième et dernière raison qui nous paraît conforter la solution de la Cour de Lyon résider dans le fait que le Conseil constitutionnel fait application de ce texte.
L'existence de sa portée normative a été discutée en doctrine. M. Donnedieu de Vabres, dans son article précité indique que la formule de l'alinéa 14 est très vague et générale. Mme Lawrence Preuss, professeur à l'université de Michigan, y a vu, pour sa part, une disposition purement déclarative (Droit international et droit interne dans la Constitution française de 1946, Revue internationale d'Histoire politique et constitutionnelle 1951, p.199).
Cette question nous paraît désormais tranchée par trois décisions du Conseil constitutionnel. Dans la décision n°92-308 DC du 9 avr. 1992 (Rec. p. 55; Grandes décisions du Conseil constitutionnel, 8e éd., n°45; note président Genevois: cette Revue 1992, p. 373), communément appelée Maastricht I, le Conseil constitutionnel cite le 14e alinéa du Préambule et précise qu'au nombre des règles de droit public international mentionnées par ce texte figure la règle "Pacta sunt servanda", laquelle implique que tout traité en vigueur lie les parties et soit exécuté par elles de bonne foi. Il en a déduit que, saisi au titre de l'article 54 d'un traité modifiant un engagement international déjà introduit dans l'ordre juridique interne, il lui appartenait de déterminer la portée du traité soumis à son examen en fonction des engagements internationaux que ce traité a pour objet de modifier ou de compléter.
On retrouve la référence à cette même règle dans sa décision relative à la loi réformant le code de la nationalité (Décision n°93-321 DC du 20 juill. 1993, Rec. p. 37).
Par ailleurs, dans la décision n°92-312 DC du 2 septembre 1992, Maastricht II (Rec. p. 76, note président Genevois, cette Revue 1992, p.937), le Conseil constitutionnel précise que l'exercice du contrôle prévu au titre de l'article 54 ne contrevient pas aux règles du droit public international.
Dès lors, et pour les trois considérations qui précèdent, la cour d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que l'alinéa 14 du Préambule n'était pas nécessairement dépourvu de toute portée en droit interne.
E. L'arrêt affirme, en second lieu, que cet alinéa ne saurait avoir pour effet de conférer aux règles coutumières l'autorité supérieure à la loi que l'article 55 de la Constitution confère aux traités et accords a mentionnés par ce texte.
1. La question que vous devez trancher à ce stade porte exclusivement sur la détermination de la situation hiérarchique de la loi et de la coutume internationale.
Vous n'êtes donc nullement confronté à une difficulté de la nature de celle qui a donné lieu à votre jurisprudence Syndicat général des fabricants de semoule de France (CE, Sect. 1er mars 1968, Rec. p. 149; concl. Mme la présidente Questiaux, AJDA 1968, p. 235) puis à votre décision Nicolo précitée.
Dans ces affaires, les litiges portaient sur le respect de la hiérarchie entre le traité et la loi tel qu'il est défini par l'article 55 de la Constitution.
En cas de conflit entre un traité et une loi postérieure, vous avez estimé, en 1968, que ce respect soulevait une question d'appréciation de constitutionnalité des lois laquelle échappe à la compétence de la juridiction administrative. L'arrêt Nicolo consacre l'abandon de cette jurisprudence.
Vous estimez, en effet, depuis 1989, que si le juge ne peut se prononcer sur la constitutionnalité des lois, l'article 55 de la Constitution l'habilite implicitement à assurer le respect de la hiérarchie des normes que ce texte établit.
Mais il faut bien voir que vous n'avez éprouvé, et avant même la décision Nicolo, aucune difficulté à faire prévaloir un traité sur une loi antérieure en cas d'incompatibilité entre celui-là et celle-ci (CE, 15 mars 1972, Dame veuve Sadok Ali, Rec. p. 213; CE, Ass. 7 juill. 1978, Klaus Croissant, Rec. p. 292).
Il est clair que le rapport entre la loi antérieure ou postérieure et le traité est dans ce cadre prédéterminé par la Constitution elle-même.
2. S'agissant des rapports entre la loi et la coutume internationale, il faut au préalable, comme l'a fait la cour d'appel, rechercher leur place respective dans la hiérarchie des normes avant de s'interroger sur leurs rapports temporels.
Or, à cet égard, un constat s'impose pour le juge administratif lorsqu'il doit se prononcer sur un conflit entre ces deux normes: aucune disposition de la Constitution ne prescrit ou n'implique qu'il fasse prévaloir la coutume sur la loi.
C'est en effet dans la loi fondamentale que le juge doit rechercher cette hiérarchie. Ainsi que le rappelle notre collègue R. Abraham dans son ouvrage Droit international, droit communautaire et droit français (p. 35), " dans l'ordre interne, tout procède de la Constitution. Toutes les autorités publiques - qu'elles soient législatives, administratives ou juridictionnelles, tiennent leurs compétences et leur existence même, directement ou indirectement, de la Constitution. Toutes les règles juridiques applicables sur le territoire de l'État procèdent de la Constitution, soit qu'elles figurent explicitement ou implicitement dans celle-ci, soit qu'elles soient contenues dans des actes édictés suivant les procédures et conformément aux règles de compétence prévues par la Constitution... La suprématie de la Constitution dans l'ordre juridique interne est donc (aussi longtemps que la société internationale sera fondée sur le fait politique de la souveraineté des États) une vérité première et incontournable".
Ainsi le principe de la supériorité de la Constitution sur les conventions internationales découle nécessairement de l'article 54 et vous interprétez les traités conformément à la Constitution (voyez en ce sens votre déc. d'Ass. Koné du 3 juill. 1996 où sur un litige portant sur un décret d'extradition, vous avez interprété les stipulations de l'accord de coopération franco-malien conformément au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel l'État doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique).
a) Or la Constitution française ne contient pas de règles dont l'objet ou l'effet vous conduirait à faire prévaloir la coutume sur la loi à la différence de ce que l'on retrouve dans les Constitutions de certains pays voisins. Nous prendrons l'exemple de trois pays: l'Allemagne, la Grèce et l'Italie.
L'article 25 de la loi fondamentale du 23 mai 1949 de l'Allemagne prévoit que les règles générales du droit international public font partie intégrante du droit fédéral. Elles priment les lois et créent directement des droits et obligations pour les habitants du territoire fédéral. L'article 100 dispose en outre que si au cours d'un litige il existe des doutes sur le point de savoir si une règle du droit international public fait partie intégrante du droit fédéral et si elle crée des droits et des obligations pour les individus le juge ordinaire doit soumettre la question à la décision du tribunal constitutionnel fédéral.
Il existe ainsi en droit allemand une procédure spéciale d'identification de la règle non écrite laquelle prime la loi. Nous préciserons que dans sa décision du 21 mai 1987 le tribunal constitutionnel fédéral a admis que faisaient partie de ces règles générales le jus cogens le droit international coutumier et les principes généraux de droit au sens de l'article 38 du statut de la Cour internationale de justice et qu'il est admis que le juge ordinaire applique ces règles ex officio et n'interprète ou n'applique le droit interne qui violerait une règle générale du droit international (J. Frowein et K. Oellers-Frahm in L'intégration du droit international et communautaire dans l'ordre juridique national: Étude de la pratique en Europe sous la direction de Pierre Michel Eisemann: Kluwer Law International 1996, p. 99).
L'article 28-1 de la Constitution de la République de Grèce du 9 juin 1975 prévoit que les règles du droit international généralement acceptées ainsi que les traités internationaux après leur ratification font partie intégrante du droit hellénique et ont une valeur supérieure à toute disposition contraire de la loi. Et comme en Allemagne le jugement des contestations portant sur le caractère d'une règle de droit international comme universellement reconnu est attribué à une cour spéciale supérieure (E. Roucounas in Étude de la pratique en Europe, préc. p.287).
Dans ces deux pays la hiérarchie des normes sur le point qui nous occupe est clairement déterminée.
La Constitution italienne est moins explicite. L'article 10 de la Constitution du 27 décembre 1947 dispose que l'ordre juridique italien se conforme aux règles du` droit international généralement reconnues.
Cette disposition a pour effet en Italie d'introduire automatiquement dans l'ordre italien les changements nécessaires pour donner effet aux obligations qui naissent des modifications des normes internationales. Cet article de niveau constitutionnel produit donc tous ces changements aux niveaux législatifs et inférieurs de l'ordre juridique interne (T. Trèves et M. Frigessi Di Rattalma, in Étude de la pratique en Europe, préc. p. 398). La cour constitutionnelle italienne a ainsi décidé que les lois internes incompatibles avec le droit interne créé par le mécanisme de l'article 10 étaient inconstitutionnelles du fait de leur incompatibilité avec cet article.
La rédaction de cet article est assez comparable à celle de l'alinéa 14. Cependant le parallèle s'arrête immédiatement car ces deux textes n'obéissent pas au même régime. L'un est un article de la Constitution, l'autre est un alinéa du préambule et nous vous avons rappelé les raisons du choix de notre pays sur ce point.
b) Si nous revenons à la situation de la France il est clair que l'article 55 de la Constitution réserve seulement aux traités et accords la supériorité sur la loi dans la mesure où ils satisfont aux conditions que cet article énonce. Nous mentionnerons, à cet égard, votre décision d'Assemblée Roujansky (CE, 23 nov. 1984, Rec. p. 383) rendue aux conclusions du président Labetoulle par laquelle vous avez estimé que la seule publication faite au Journal officiel du 9 février 1949 du texte de la Déclaration universelle des Droits de l'homme ne permet pas de la regarder comme étant au nombre des textes diplomatiques qui, ayant été ratifiés et publiés en vertu d'une loi, ont une autorité supérieure à celle de la loi interne. Vous avez repris la même solution dans votre décision Battesti(CE, 16 oct.1992, Rec. p. 371).
Quant à l'alinéa 14 du Préambule, eu égard à l'esprit qui a présidé à son adoption au lendemain de la guerre et à sa connotation historique, vous ne pourrez y voir une règle qui vous permettrait de retenir la thèse de M. Aquarone.
Si nous nous référons une dernière fois aux travaux qui ont précédé son adoption et celle de l'article 46 du premier projet de Constitution, nous relevons que l'orateur qui s'exprime le 19 février 1946 au nom des radicaux-socialistes manifeste son accord à l'introduction dans la Constitution d'une telle disposition en l'assortissant du commentaire suivant: "il ne s'agit peut-être que d'un coup de chapeau à des principes mais c'est important".
Et lors de la discussion le 21 août 1946 au sein de la Commission de la Constitution M. Paul Bastid indiqua qu'il estimait que ce texte contenait " une déclaration de principe qui devrait être transférée au préambule " (séances de la Commission comptes rendus analytiques, p. 309). Il n'y a ici nulle trace de la moindre préoccupation de la définition d'une hiérarchie des normes entre la coutume et la loi.
À cela nous ajouterons qu'à ce jour le Conseil constitutionnel ne nous paraît pas avoir incorporé les règles du droit public international au bloc de constitutionnalité (v. en ce sens B. Genevois: La jurisprudence du Conseil constitutionnel, p. 369 et L. Favoreu: La prise en compte du droit international et communautaire dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel in L'internationalité dans les institutions et le droit: Études offertes à Alain Plantey, 1995, p. 33).
À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a été confronté à cette question et il a écarté les arguments fondés sur la violation de règles de droit international:
- soit en estimant que la règle invoquée n'était pas en cause (n°75-59 DC du 30 déc. 1975 sur l'autodétermination des îles des Comores, note Pr. Nguyen Quoc Dinh: Le Conseil constitutionnel français et les règles du droit public international, RGDIP 1976, p.1001; décisions n°81-132 DC du 16 janv. 1982 et n°82-139 DC du 11 févr. 1982 sur la loi de nationalisation à propos d'une disposition relative à son champ d'application territorial, Rec. p.18) ;
- soit en déclinant sa compétence (n°80-116 DC du 17 juill. 1980 sur la loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, note Pr. Ch. Vallée, RGDIP 1981, p. 203);
- soit en examinant la règle de droit international uniquement sous l'angle de la possibilité pour lui, dans le cadre de sa mission de contrôle, de remettre en cause un traité antérieur à la faveur de l'examen d'un nouveau traité ce qu'aurait impliqué la transposition des principes posés pour les lois par sa décision n°85-187 DC du 25 janv. 1985 (Rec. p. 43) et non sous celui de la constitutionnalité du nouveau texte (décision Maastricht I préc.).
On constatera que cette position est en harmonie avec celle qu'il adopte pour les traités et les accords internationaux qu'il exclut des normes de référence du contrôle de constitutionnalité des lois (décision n°74-54 DC du 15 janv. 1975 à propos de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, Rec. p. 19; Grandes décisions du Conseil constitutionnel, 8e éd., n°23).
Nous observons toutefois que sur ce point la justification retenue réside dans le fait que les décisions prises en application de l'article 61 de la Constitution revêtent un caractère absolu et définitif alors que la supériorité des traités sur les lois présente un caractère à la fois relatif et contingent tenant à ce qu'elle est subordonnée à une condition de réciprocité.
L'application d'une coutume internationale n'est pas régie par les mêmes règles encore que nous partageons l'opinion de la doctrine (Cf. note du Pr. Téboul, AJDA 1993, p. 725) selon laquelle cette condition doit jouer aussi et être vérifiée pour une règle non écrite du droit international, même si elle est présupposée être remplie.
Ainsi, faute de toute disposition de valeur constitutionnelle impliquant pour le juge administratif qu'il fasse prévaloir la coutume sur la loi, la Cour de Lyon n'a commis aucune erreur de droit en écartant comme inopérante l'argumentation dont M. Aquarone l'avait saisie.
F. Avant de conclure, nous voudrions faire trois observations.
En premier lieu, dès lors que l'arrêt relève aussi qu'il n'existe pas de coutume, la Cour n'avait pas à prolonger son raisonnement et à se demander si la coutume a une valeur égale à la loi auquel cas elle aurait dû s'interroger sur le point de savoir si cette coutume était ou non postérieure à la loi. Vous n'aurez donc pas à prendre parti sur cette question qui doit être réservée.
En deuxième lieu, et dans la mesure où vous partagerez notre analyse, si l'on examine les prolongements de votre décision, cela signifie aussi et nécessairement que l'Administration, soumise aux mêmes règles que le juge, ne pourra voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir écarté l'application d'une loi, quelle que soit sa date, qui méconnaîtrait une coutume internationale. Les principes résultant de votre décision d'Assemblée Société Rothmans International précitée ne seraient donc pas applicables.
La dernière observation concerne les principes généraux de droit international public. Ces principes auxquels l'article 38 du statut de la Cour internationale de justice fait référence se distinguent de la coutume en ce qu'ils sont formés non pas à partir d'une pratique générale des États regardée comme étant le droit mais à partir d'une comparaison et d'une systématisation de divers droits internes. Ils assurent la transposition dans l'ordre international de l'esprit commun de leurs solutions. Ces deux normes ne sauraient donc se confondre.
Néanmoins, la réponse que vous donnerez au présent litige préfigurera probablement celle qui pourrait être la vôtre à propos de ces principes.
Mais il faut songer aussi parmi ces principes aux principes généraux du droit communautaire qui pourraient faire l'objet d'un régime spécifique. Nous nous bornerons à rappeler ici que l'article F du traité de l'Union européenne prévoit que "l'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la convention européenne des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres en tant que principes généraux du droit communautaire".
Dans la mesure où un principe pouvant être identifié comme remplissant ces conditions viendrait en conflit avec une loi le juge administratif ne sera pas nécessairement conduit à prendre la même position que celle proposée dans le présent litige. Nous relevons que la mission incombant pour l'application de l'article F aux juridictions nationales a été mentionnée par le Conseil constitutionnel dans la décision Maastricht I.
Par ces motifs nous concluons au rejet de la requête de M. Aquarone.
Gilles BACHELIER
...
...
▼